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Incidence(s)

« La fonction du travail photographique est de faire surgir l'invisible au sein du visible. »

White, Minor

La question de départ est simple : pourquoi faisons-nous des photos ? La réponse est certaine plus compliée.

C’est entre la poésie d’un regard photographique intuitif, et une réflexion plus théorique sur l’impact des images que j’inscris Incidence(s).  Loin de donner une réponse, cette série se pose en invitation.

Un dialogue entre intime et universel se tisse au gré des clichés. Un lien entre macro et micro, entre la rapidité d’un cœur qui s’emballe et la langueur d’un glacier qui fait sa route vers la valle, entre le temps contemporain et le temps long, le deep time. La spontanéité et l’ouverture au réel en est la matrice, attention constante au dialogue incessant entre une sensibilité aux aguets et un monde à fleur de peau.

Entre abstraction et figuratif, ces images témoignent d’un moment de flottement, d’une intuition, d’une inspiration, coupés du temps des humains, connectés au chant du monde. Mais elles suivent un fil rouge, intarissable et toujours renouvelé :  celui de la matière.

Vilém Flusser dit de la photographie qu’elle a transformé l’imagination en hallucination. Incidence(s) invite à la lucidité, à l’arrêt sur image, au plongeon vertigineux dans l’inconnu d’une image qui ne présente de la réalité que ce que chacun.e peut y voir. Les multiples expériences qui se rencontres à la surface des images et éclosent dans l’imaginaire ancre l’expérience dans l’ici et maintenant. Les images retrouvent le Hic et nunc que les flux d’information nous ont fait oublier. La matière est omniprésente. Son aura n’a pas disparu, est-ce nous qui avons arrêté de la regarder ?

Mais son présent n’est jamais étranger au passé. La mémoire de toute matière y est inscrite. En explorant replis, traces, entailles, torsions, trous, griffures, lissage, action humaine ou érosion, c’est l’intimité de la matière qui s’ouvre à nous. Dans l’épaisseur de la matière du monde, la mémoire se construit en couches successives, en strates d’informations sensibles, émotionnelles, générationnelles, ésotériques. Les cicatrices du monde sont des interstices, au sein desquels il est possible d’entrevoir la mémoire du monde, la mémoire des corps, la mémoire des esprits. Sur les pas de Sally Mann, cette série cherche à exalter les souvenirs, bonheurs, joies, extases, traumatismes, douleurs, qui habitent le moindre recoin de notre monde.  La pensée animiste n’est pas étrangère à ces images, même si ce n’est pas de ce côté qu’emmené leur propos. C’est notre conscience à nous, réveillée, peut-être, par celle des choses, vivantes ou non, dont elles parlent. Cette matière parfois impénétrable s’adresse à nous, comme elle s’est adressée à moi.

Que trouve-t-on dans une photographie ? Est-ce que l’essence de ce qui est capturé subsiste en l’image comme le croyais Blazac ? N’est-ce qu’une trace lumineuse qui prouve que l’objet représenté a bien été là, devant l’appareil, comme le croyait Barthes ? Ou bien, tel que l’affirme Van Lier, est-ce qu’on a affaire avec des traces photoniques qui n’ont plus le moindre lien avec ce qui a été photographié ? La réponse d’incidence(s) à cette question d’ordre ontologique qui m’a habité tout au long du projet se trouve dans le titre. Ce n’est pas tant le sujet de la photographie qui importe, d’où un glissement vers l’abstraction, mais bien le motif qui se retrouve sur la surface imprimée, sa matérialité, sa texture, sa présence, mouvante et insaisissable. La lumière lui donne vie, la transforme et la maintienne perpétuellement dans le présent, loin du passé de l’image dont parlé Babette Mangolte. La lumière incidente fait et refait l’image, façonnant notre expérience présente. Le sujet de l’image est le point d’ancrage de ma réflexion qui devient un mantra, qui trouve son sens dans la répétition et dont l’interprétation se fait dans le vécu individuel et sensible.  

Abstraction et travail des tirages (toujours tirés à l’aide d’encres de charbon) proposent une rencontre, celle dont parlent Baptiste Morizot et Estelle Zhong Mengual. Une rencontre intuitive, en conscience avec le tangible du monde, mais aussi avec nous même, et peut-être même l’Autre qui se cache derrière chaque image. Dans cette interaction se trouve peut-être la possibilité de redéfinir, apprivoiser et déchiffrer cette notion qui fait tant parler d’elle et qui, dans Incidence(s) se trouve loin du regard social et de ses attentes : l’identité.

 

« Le corps amasse tout ce qui le touche. […] Racontes donc l’histoire qui te ressemble et tu figureras autant ton imaginaire propre que la mémoire commune. » - Extrait du texte "Je ne veux pas que l’histoire s’arrête", Slimen Elkamel, 2021

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