Vuyo Mabheka
Originaire d’Afrique du Sud et représenté par la dynamique galerie Afronova, Vuyo Mabheka nous invite dans sa plus récente série à découvrir un univers surprenant aux allures naïves, témoignage pourtant à vif de la jeunesse postapartheid. Au croisement du dessin enfantin et du photomontage, les collages de l’artiste marient différentes temporalités et brisent les carcans traditionnels de la photographie. S’y retrouvent ainsi des détails photographiques captés par l’artiste dans les rues contemporaines de Johannesburg, les quelques rares images que l’artiste possède de lui-même enfant, et enfin, liant le tout, des dessins réalisés au crayon de couleur, témoins de l’imaginaire et des souvenirs intimes joignant ses différentes expériences.
Loin d’être anodin, ce style renvoie directement à un jeu populaire d’Afrique du Sud omniprésent dans l’enfance de l’artiste : « Popihuis ». Ce terme de langue Xhosa constitue un choix éminemment politique car issu des mots poppenhuis en Néerlandais et pophuis en afrikaans, aux significations similaires, que l’artiste anglicise ici afin de nommer sa série : « Popihuise ». Là où le jeu aurait pu conserver son apparence anodine, cet entrecroisement terminologique permet à l’artiste de laisser affleurer les cicatrices, encore ouvertes, laissées par le colonialisme. Vuyo Mabheka se réapproprie ainsi, vingt ans plus tard, ce qui lui permit à l’époque de se projeter dans un futur meilleur et de rendre supportable le quotidien. Il en retourne le principe et porte un regard dénué de nostalgie sur son enfance, sur l’impact de ce qu’il a pu y vivre ainsi que sur les réalités de la vie dans les townships suivant la fin de l’Apartheid.
Ce travail quasi psychanalytique entre néanmoins en résonnance avec de nombreuses problématiques, dépassant de loin les frontières de ces expériences intimes. On y retrouve par exemple la question du rapport à la figure paternelle, dont l’absence marque toute la série jusqu’au titre « Pop- », mais aussi celle de l’infusion des problématiques socio-économiques et politiques au sein de la famille, ou encore de la place que prennent les expériences de l’enfance dans le développement des individus et de l’attention accordée aux jeunes, à leur vécu.
Autant de questions qui ancrent Popihuise dans le paysage contemporain de la photographie par une approche irrévérencieusement libre, ouverte à un univers de possibles neuf quant à l’appropriation de la matière photographique. Regard sensible et sans prétention, le travail de Vuyo Mabheka se pose en étincelle de clairvoyance, de bienveillance et de care au cœur d’une époque où de nombreux traumatismes historiques non-guéris viennent obscurcir le débat public et se transformer en conflits.