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Sophie Zénon

La photographe Sakiko Nomura se pose en figure aussi discrète qu’influente au sein du paysage photographique japonais. Bien que souvent écrasée par des grands noms tels que Nobuyoshi Araki, c’est son approche fine et sensible de l’intime, de l’amour et de la sexualité au Japon qui font sa signature. Inscrite dans un héritage photographique plutôt classique, elle trouve néanmoins cette année sa place au sein du salon A ppr oc he, dédié à l’expérimentation du medium, avec une récente série interrogeant la capacité de son outil à pénétrer au cœur de ce qu’il capture.

Artiste à la pratique intuitive, toujours accompagnée de son appareil, Sakiko Nomura donne généralement corps à ses séries a posteriori avec l’aide de ses maisons d’édition. Elle réinterprète ainsi par un travail en chambre noire une série de clichés déjà présents dans d’autres ouvrages afin d’en proposer une approche neuve, plus expérimentale, matièrée. Elle y explore le procédé de la solarisation, « découvert » par Lee Miller et rendu célèbre par Man Ray – permettant d’inverser une partie des valeurs d’un tirage argentique. Cette technique plonge ses photographies au cœur d’une matière épaisse, noire, impénétrable. Par la dissimilation et le voilage ainsi provoqués, la solarisation semble permettre de révéler plus subtilement et sensiblement le contenu et la portée de ce que ces images montrent. L’obscurité et le flou de mouvement qui y donne souvent le ton prennent ici une tout autre dimension et entourent de pudeur des scènes intimes que l’artiste tire du quotidien japonais.

Ce traitement transforme de fait l’expérience face aux tirages : invité.e.s à nous en rapprocher afin de mieux en distinguer le contenu, nous nous confrontons à un refus, un rejet, face à leur masse lisse et sombre. L’artiste semble ainsi avoir souhaité conserver intact le secrets de ses personnages, comme protégés et cachés par le noir de la solarisation, dans la « black box » de son appareil. Plaçant ainsi dans une nouvelle perspective la question de l’acte photographique et interrogeant notre rapport à l’image : ne mettent-ils pas tous deux, en même temps qu’ils en rapprochent, une forme de distance avec ce qu’ils tentent pourtant de capter ? Et comment contourner, une fois conscientisée, cette approche voyeuriste des images selon laquelle il est possible de s’en approprier le contenu ?

Another Black Darkness propose ainsi une expérience photographique unique dans une forme d’aller-retour constant : une invitation-rejet nous renvoyant systématiquement à notre propre regard. Sakiko Nomura tourne ainsi son regard sur sa production afin d’en proposer une lecture nouvelle : peut-être que ce qui se passe dans l’obscurité doit-il y rester ?

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