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Ibrahim Ahmed

Plongeant ses racines dans diverses cultures, l’œuvre d’Ibrahim Ahmed pose un regard sensible, novateur autant qu’autobiographique sur les liens étroits qui unissent collectif et intime, local et global, invisible et visible. Son univers unique dans un paysage contemporain où le collage semble pourtant en vogue marie ainsi introspection et échange, confronte l’unique au multiple, et confond dans un geste de résistance interactions intra-familiales et dynamiques géopolitiques. La question de l’identité y est donc indissociable de son inscription dans un contexte plus large, interrogeant les lignes de force patriarcales à l’origine des sociétés modernes, aussi néfastes pour les individus que les sociétés et écosystèmes. Entre création photographique, revitalisation d’archives et pratique de découpage/collage, l’artiste américano-koweïtien propose à l’occasion de la 7ème édition d’A ppr oc he une narration en trois actes, invitant à un une plongée initiatique au cœur de la construction des masculinités.

Dans un premier temps, tournant son regard vers son propre corps dans un travail monochrome d’autoportrait et de mis en scène studio, l’artiste explore les dynamiques de développement individuel masculin. Reflet de la crise identitaire qui traverse notre époque, You can't recognize what you don't know, 2020/2021, sonde l’incidence profonde des standards patriarcaux et de la « manlyness » sur des individus à la psyché pourtant chaque fois unique. L’artiste y constitue une collection d’étranges figures, effigies aux normes virilistes piochées jusque dans la statuaire gréco-romaine, dont les contours abruptes, évidés ou ciselés en révèlent les profondes incohérences et déficiences. Entre physicalité exacerbée et intériorité assumée, ces sculptures à l’allure absurde, monstrueuse ou surréaliste témoignent du travail d’émancipation, d’acceptation, de réinvention dans lequel est engagé l’artiste.

Le second chapitre introduit au sein de ces compositions une archive photographique appartenant à son père. En couleur, celle-ci dialogue par contraste avec les scènes en noir et blanc que continue d’expérimenter Ibrahim Ahmed. Avec Some parts seem forgotten, 2020/2021, son corps entre en dialogue constant, inconscient et intime, avec celui de son père, pourtant séparé d’une génération. Les poses se dédoublent, les silhouettes conversent et l’artiste dévoile les multiples incidences de cette figure paternelle sur sa propre construction. Remontant jusqu’à ses jeunes années, le photographe explore ici le poids de son héritage et donne peu à peu corps à une individuation déchirée entre répétition sociale et enfermement aliénant.

Le dernier acte, Quickly but carefully cross to the other side, 2020/2021, nous immerge entièrement dans l’exploration des archives familiale au sein desquelles la figure paternelle prend forme, souvent en négatif, à travers son propre regard. Les éléments chers à cet homme révèlent un théâtre familial, national et supranational où tout individu est pris dans des narrations identitaires. Les dynamiques à l’origine d’un pays aussi bien que d’une famille sont ainsi la matière première d’Ibrahim Ahmed, lequel donne corps à leurs multiples incidences et témoigne de l’effacement du sujet qu’elles provoquent. Car si une chose frappe dans cette série, c’est bien l’absence du père. Dont la silhouette, pourtant omniprésente, révèle une identité moulée par des standards externes. Son regard devenant finalement la dernière trace d’une identité profonde, peut-être autre que ce que ces derniers voulaient bien en voir. L’artiste brosse ainsi un portrait neuf de la virilité, laquelle, avant la violence, enferme, isole et efface.

Le regard à fleur de peau que développent ces trois séries tente, dans un cheminement émancipateur, de révéler par leur détérioration ce que dissimule les images. Couper, tailler, évider ces icônes se pose ainsi en moyen pour l’artiste de se (re)construire au-delà des limitations culturelles et des lègues familiaux. Réinventer l’identité au-delà de l’image et la libérer des carcans perpétués autant que révélés par la photographie, voilà ce que propose avec honnêteté, courage et douceur l’œuvre d’Ibrahim Ahmed.

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